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  • Photo du rédacteurClaire Markovic

Comment j’ai mélangé grossesse, post-partum et cocréation d’une bande dessinée

La bd sur laquelle j’ai travaillé en tant que dessinatrice est sortie il y a bientôt deux mois en France, et arrive bientôt au Québec. C’est ma première expérience pour ce type de format, et quelle expérience ! Ce que vous avez dans les mains (car oui, vous l’avez dans les mains, n’est-ce pas ?), ce sont près de 180 pages illustrées. Je le savais avant hein, mais là, de l’expérimenter, je peux l’écrire : c’est loooooong de faire de la bd.


Depuis qu’illustrer est mon travail, je lis les bandes dessinées différemment. Je passe beaucoup plus de temps à regarder la composition, les décors, les expressions des personnages, le placement des bulles, des silences. Je suis admirative. Quand il s’agit d’une bd fourmillant de détails, je m’interroge surtout sur l’état de santé mentale de l’illustrateur.ice au moment de rendre les planches. Quand Julie m’a fait rencontrer Lou pour ce projet de bande dessinée, j’ai mesuré la chance que j'avais qu’une telle opportunité me soit offerte. Aujourd’hui, soit un an et demi après, mon opinion n’a pas bougé d’un poil. C’est bien grâce à toutes les personnes impliquées dans ce projet que le souvenir que je garde du processus reste très positif. Au moment même où le projet de bd se concrétisait, je démarrais ma grossesse, et avec cela les aventures parallèles et intrinsèquement liées de cette bd et d’un bébé. Je me suis engagée sur ce livre, et sans le savoir, j’impliquais bien plus que ma propre personne.


Alors ici, comme je ne l’ai pas encore fait, je viens vous parler du processus collaboratif de création de cette bd de mon point de vue, celui de femme tout juste mère. C'est à la fois long et très résumé. Sans plus attendre :


Comment j’ai mélangé grossesse, post-partum et cocréation d’une bande dessinée.

réponse courte : je suis privilégiée.






Le fonctionnement collaboratif à distance


Lou Sarabadzic, l’autrice de tous les textes & du scénario de la bd, vit au Royaume-Uni. Julie Finidori, qui nous a présentées, habite à Paris, tout comme Juliette Magro, l’éditrice qui a chapeauté la création de notre projet chez Mango Society. Quant à moi, je travaille depuis mon appartement à Montréal, au Québec, soit à un bon paquet de kilomètres de tout ce beau monde. On oublie les rendez-vous créatifs aux terrasses des cafés, les rencontres informelles en balade, les meetings autour d’un bureau, nope, pour nous quatre, il n’y a eu que les échanges virtuels dépendants d’une connexion internet de qualité. Pour toute l’avancée du travail, nous avons utilisé un Google Drive partagé, sur lequel nous ajoutions au fur à mesure nos progrès écrits ou illustrés. En plus de ça, nous avons bâti des fils de mails longs comme un Paris-Montréal passant par le UK. Au vu de nos délais et de ma condition de presque mère qui ne savait pas comment elle allait pouvoir bosser après l’accouchement, le but était d’avancer dans l’écriture en parallèle de la bd. Ainsi, nous n’avions pas le scénario complet avant que je commence à dessiner, mais nous avancions au moyen d’une trame générale, décidée à l’avance et vers laquelle nous tendions, et de chapitres rédigés petit à petit. Lou écrivait les chapitres, avec des indications et des dialogues ; nous faisions les retours et Juliette la correction, puis c’était à mon tour d’avancer et de fournir une ébauche dessinée dudit chapitre. D’abord, un vague découpage, puis l’encrage. Le but était de n’avoir “plus que” la mise en couleurs à faire après mon accouchement, prévu au mois d’octobre. Ca, c’était dans un monde idéal, et spoiler, ça ne s’est pas DU TOUT passé comme ça.


Dessiner enceinte


C’est l’été, Montréal est parfaite et je suis un beau ballon. Dans les faits, je n’avance pas aussi vite que je l’aurais souhaité. Un mélange d’état éthéré dans lequel je plane (à regarder mon nombril littéralement sortir de sa condition convexe), d’anémie qui me rend exténuée, de problème de travaux infiniiiis dans notre appartement (la classique rénovation qui tombe pile poil autour de la fin de la grossesse et qui nous a fait louer un appart pendant un mois au moment de la naissance de notre fils), et aussi de réalité de la créativité, qui ne répond pas toujours aux impératifs et contraintes de temps.



J’ai eu la chance d’avoir une grossesse qui s’est relativement bien passée - il y a toujours des * à cette affirmation hein, il y a eu quand même quelques occasions de froncer les sourcils. Et puis, à une intro (de 40 pages) et 6 chapitres encrés, le gynéco m’annonce que mon déclenchement est pour le lendemain (lol) (pour “éviter que votre bébé ne meure in utero” hihi rep à ça). Dans ce maelstrom, j’ai environ une demi-seconde à accorder à “penser au travail”, tout le reste étant un mélange d’excitation, d’appréhension, et de beaucoup de joie à l’idée de rencontrer le ptit Jean-Louis * de mon ventre.


* beh non pas son prénom..


Post-partum et bédé


Pendant la grossesse, nous nous sommes bien préparés au post partum. Je n’ai pas eu d’énorme surprise en terme d’état d’esprit, je m’attendais parfaitement à être dans un état physique appelant le repos et peut-être les anti-douleurs. Je m’attendais à ne pas vraiment dormir. Je me serais attendue à me sentir plus déprimée et décontenancée, mais franchement, non. Guillaume a été super impliqué (et je le savais quand il a décidé d’acheter du KOUIGN AMMANN POUR LA SALLE D’ACCOUCHEMENT) et nos ami·e·s aussi, prévoyant un ballet de petits soins parfaits.

Deux événements sont venus ternir ce “mois d’or” que je m’étais programmé (au menu : manger, dormir, s’occuper du bébé, ne pas travailler). Un, j’ai failli crever à cause d’une rétention placentaire une semaine après l’accouchement (pis faut s’en remettre), deux, mes souhaits d’avoir un bébé qui dort pas mal ne se sont pas fait entendre (mais bon, ça c’était le loto). Plus que la fatigue physique, avec mon teint tout gris et ma démarche de pachyderme blessé, c’est surtout le fait que notre bébé ne dorme nulle part ailleurs que sur ses parents qui a représenté un challenge important. Et ça, ce sont des événements que l’on ne pouvait pas anticiper.

On vivait tous les trois dans un appart de location décoré avec le cul (bienvenue dans le monde, mon bébé) et comme tout parent qui fait face à un problème de bébé koala, j’ai passé des heures à googler “comment poser bébé dormir nuit” “wikihow nourrisson dans son lit”. Lâcher-prise et tout et tout, nous avons accepté de vivre sous l’œil d’Audrey Hepburn en noir et blanc sur les murs rouges du salon (canapés en cuir décousus), et aussi, de faire des roulements pour veiller sur ce si beau bébé qui dormait sur nous, puisque de toute façon nous n’avions que ça à faire dans ce premier mois post accouchement : profiter de notre toute nouvelle famille. Nous sommes rentrés chez nous, dans un appart encore en travaux, avec comme seul accès à l'eau... la douche. Et puis bon, à un moment, je voyais les délais se rapprocher, et il a bien fallu se remettre à plancher sur la bd. Merci Guillaume et sa greffe d’écharpe de portage, merci Guillaume et toute la charge mentale des tâches ménagères, des courses, des repas, merci Guillaume et les balades avec notre fils, merci Guillaume, merci les ami·e·s impliqué·e·s, et merci le Québec et le congé parental d’UN AN à partager entre les DEUX parents COMME ON VEUT.



Pendant plusieurs mois, les journées ont ressemblé à : se partager ce qu’on pouvait se partager (Guillaume n’a pas pu allaiter par exemple) (alors que moi oui et c’était super) (vraiment!!!!), dessiner pendant que notre bébé dormait sur son père, laisser Guillaume travailler quand notre bébé s’endormait sur moi, et avancer à vitesse de tortue sur les planches. Trente minutes par ci, douze par là. Y penser suffisamment fort pendant que je ne pouvais pas dessiner (bain de bébé ? allaitement ? balade ?) pour être la plus efficace possible quand je pouvais me trouver devant mon iPad. Régulièrement, les appels (si doux et compréhensifs) avec Julie, Lou et Juliette me permettaient d’allonger un peu plus les délais, avec toujours en date butoir l’envoi en impression prévu pour le tout début juillet 2022. Et avant ça, il fallait le temps de la correction, compressé au minimum (merci, tellement).


Aux trois mois de notre fils, nous avons vu un changement net et nous avons commencé à pouvoir le poser dans son propre lit la nuit. Alors même si les réveils étaient nombreux, le simple fait de pouvoir dormir à nouveau à deux a constitué un changement vers une routine plus douce. Une routine ponctuée de plages de sommeil courtes, mais aussi de plages de travail un peu plus longues, et ça, ça nous allait très bien à tous.


Le dernier rush


Les textes de Lou résonnent fort, fort, et ont représenté une magnifique aventure parallèle durant cette année à cheval entre 2021 et 2022. J’étais fière de notre famille et de pouvoir dessiner une bd qui souhaite “en finir avec la rhétorique foireuse du patriarcat” aux côtés d’une superbe équipe, et aussi, d’un mec qui a “sacrifié” sans jamais sourciller son temps de travail à lui pour me permettre de réaliser ces planches. Arrive le mois d’avril et avec lui un retour en France pendant environ un mois. Là encore, nous passons du temps dans nos familles respectives, qui s’occupent de nous pendant que l’on s’occupe de notre bébé et de ma bédé. Pendant ce séjour, nous aurons assez peu profité de nos ami·e·s : mon temps était plus voué à la mise en couleur de toutes les pages (et la finition des derniers chapitres) dont le rendu final était mi/fin mai. Quand je regarde le livre aujourd’hui, chaque chapitre m’évoque un moment particulier “ah! Là j’étais dans le canapé chez tel·le pote! Là j’y ai passé des heures avant de me rendre compte que je ne dessinais pas sur le bon calque! Hihi!!!! Là on venait de fêter notre anniversaire de mariage! Là notre bébé est tombé malade et je n’ai pas pu avancer pendant 4 jours!!!”. Ce n’était pas le séjour le plus reposant du monde, mais le souvenir de colorier des pages en zieutant à moitié Mariés au Premier Regard et le moniteur vidéo de la chambre du bébé dans le canap' défoncé de ma maison d’enfance restera un bonbon doux.



En rentrant à Montréal, quelques jours me séparaient de l’ultime envoi de fichiers. Et j’ai attrapé le covid. Bon, ça m’a permis de passer ces derniers jours enfermée chez moi avec mes co-malades, mon ipad, et les derniers feuillets bonus de la bd (que vous avez dans les mains ! chouette, non ?!). Le jour du rendu, après moult péripéties d’envois de fichiers trop lourds et de dropbox saturée, je célèbre avec mon covid, mon retour de règles, une bouteille de champagne et le début des nuits complètes de mon fiston. Le jour même. La fin d’un chapitre de nuits moisies et de journées bd, de là à voir une corrélation...


La sortie


16 septembre 2022, jour de la sortie en France. Je n'en reviens pas de savoir que notre livre existe, pour de vrai, dans des rayonnages de librairies. Ce jour-là, je ne profiterai pas longtemps de ce moment d'euphorie, puisque nous sommes partis en famille pour un passage aux urgences d'une durée de 18 heures. J'ai reçu, au loin, des photos de la part de mes ami·e·s qui ont fait exister cette sortie, et ça a mis du doux dans cette journée un peu nulle. Merci à vous qui avez contribué à faire de cette année mi-bébé mi-bd de la soie pour les jours moins doux. En cette fin d'année 2022, j'ai hâte de parcourir les rayons des librairies du Québec avec mon fils, et d'y rencontrer, par un hasard provoqué, les pages de Toujours trop ou pas assez - en finir avec la rhétorique foireuse du patriarcat.




Toujours trop ou pas assez :

en finir avec la rhétorique foireuse du patriarcat


Mango Society 2022


LOU SARABADZIC

MARKO MILLE













Trop long t’as pas lu ?

- c'était long et fatigant

- mais c’était une année de progrès en tout, et c’était vraiment cool

- quelle chance d’être bien entourée

- merci à nous et à Lauriane de nous avoir super bien préparés au post partum

- merci à la super équipe avec laquelle j’ai travaillé.

- merci à la daronnie qui sait que le nuage vaporeux dans lequel on baigne, ça passe



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